« La transition énergétique nécessite le développement d’une main-d’œuvre qualifiée. »

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Le siège de la National Bank of Kuwait (NBK) est la première tour au Koweït à obtenir la certification LEED Or, marquant une étape importante dans les efforts du pays pour promouvoir la construction durable.

Décarbonation
Point de vue
Durée de lecture : 8 min 8 min
08/10/2025

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Le secteur de la construction s’est engagé dans une mutation profonde de ses pratiques afin de contribuer à un avenir énergétique plus sobre. Avec la série « Défi énergétique : visions d’experts », rencontrez celles et ceux qui œuvrent pour redéfinir les standards énergétiques de demain.
En 2024, Fotouh Al-Ragom a été nommée au Hall of Fame of Energy Managers, la plus haute distinction décernée par l’Association of Energy Engineers.
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Avec plus de 25 ans d’expérience dans l’efficacité énergétique et les solutions
renouvelables, Fotouh Abdul Aziz Al-Ragom a mené des recherches pionnières sur la
performance des bâtiments et les systèmes énergétiques durables. Directrice exécutive du
Centre de recherche sur l’énergie et le bâtiment au Kuwait Institute for Scientific Research,
elle jouit d’une réputation internationale. Elle partage ici sa vision prospective pour accélérer
la transition énergétique dans le secteur du bâtiment.

Quels sont, selon vous, les défis auxquels le secteur de la construction est actuellement confronté en matière de transition énergétique ?

L’un des principaux défis de la transition énergétique réside dans l’empreinte carbone
élevée des matériaux tels que le ciment, l’acier et le verre. Le ciment à lui seul représente
environ 8 % des émissions mondiales de CO₂. Bien que des alternatives existent, comme le
ciment géopolymère, l’acier « vert » et les matériaux d’isolation biosourcés (par exemple la
cellulose et la laine de mouton), leur adoption reste limitée en raison de coûts élevés et de
l’absence de cadres de normalisation et de certification.

Au Koweït, le secteur se heurte à des obstacles supplémentaires. Bien qu’un code national
de conservation de l’énergie existe, il est faiblement appliqué et son respect n’est pas
systématiquement contrôlé. De plus, l’absence de laboratoires nationaux accrédités pour
tester les composants de construction tels que les murs, toits, vitrages et systèmes CVC
(chauffage, ventilation et climatisation) décourage l’utilisation de technologies à haut
rendement.

Combler ces lacunes structurelles et réglementaires est essentiel pour faciliter une
transition vers des pratiques de construction sobres en carbone et efficaces sur le plan
énergétique.

Comment la transition énergétique du secteur peut-elle être accélérée ?

Accélérer la transition énergétique du secteur de la construction nécessite l’activation
simultanée de plusieurs leviers clés. Le premier concerne le cadre réglementaire : sans
une législation solide et l’application rigoureuse des codes du bâtiment, les ambitions de
durabilité resteront théoriques. Ces codes doivent reposer sur des méthodologies de
vérification robustes, afin de garantir que les normes définies soient effectivement mises en
pratique.

Cette exigence réglementaire s’accompagne d’un deuxième pilier : des matériaux durables
innovants et fiables. Leur adoption à grande échelle nécessite des infrastructures
nationales de test et de certification capables de valider objectivement leurs performances.
C’est une condition préalable pour renforcer la confiance des acteurs du marché et accélérer
l’adoption de ces matériaux.

La transition énergétique dépend également de la qualité des compétences disponibles.
Le développement d’une main-d’œuvre qualifiée passe par des formations spécialisées, la
mise à jour des cursus universitaires et professionnels, ainsi que la mise en œuvre de
programmes de formation continue. Ce renforcement des compétences doit s’accompagner
d’une collaboration accrue entre ministères, collectivités locales, institutions de recherche et
acteurs privés. Une telle coordination est essentielle pour aligner les initiatives et les
déployer à grande échelle. Les projets publics jouent un rôle exemplaire : en opimisant
systématiquement l’efficience énergétique, ils fixent des repères concrets pour le reste du
marché.

Enfin, il est essentiel d’impliquer non seulement les professionnels, mais aussi le grand
public. Sensibiliser les citoyens et les usagers aux bénéfices concrets et durables –
factures énergétiques réduites, plus grand confort, bâtiments plus résilients – constitue un
puissant moteur de changement. La demande sociale peut, à son tour, accélérer l’adoption
de solutions durables par les promoteurs et investisseurs.

Ensemble, ces actions créent un effet d’entraînement. Non seulement elles permettent une
transformation en profondeur des pratiques de construction, mais elles alignent également le
secteur sur les objectifs énergétiques et climatiques, tant au niveau national que mondial.

Les énergies renouvelables au KoweïtDe nombreux systèmes de production photovoltaïque décentralisés sont utilisés dans le pays, le principal étant développé dans la ferme d’énergies renouvelables de Shagaya, qui dépassera 4 GW une fois toutes les phases achevées. D’autres installations photovoltaïques incluent les toits de maisons, stations-service et supermarchés. Les premières initiatives en matière d’énergies renouvelables remontent à la fin des années 1970, avec des essais expérimentaux de plusieurs technologies, notamment le photovoltaïque, les chauffe-eaux solaires, les bassins solaires et même la production d’hydrogène par décomposition du sulfure d’hydrogène.

En termes de performance énergétique, quels sont les projets ou initiatives les plus exemplaires que vous avez pu observer dans le secteur de la construction ces dernières années ?

Alliant innovation, fonctionnalité et responsabilité environnementale, le siège de la National
Bank of Kuwait (NBK) établit une nouvelle référence en matière de conception de gratte-ciels
économes en énergie dans la région. Il s’agit d’un gratte-ciel de 300 mètres de haut et de 63
étages, situé dans le quartier Sharq de Koweït City. Conçu par Foster + Partners, il est la
première tour au Koweït à obtenir la certification LEED Or, marquant une étape importante
dans les efforts du pays pour promouvoir la construction durable.

Le bâtiment intègre des caractéristiques environnementales avancées, notamment des
réfrigérants à faible potentiel d’appauvrissement de la couche d’ozone (ODP) et à faible
potentiel de réchauffement planétaire (PRP), un éclairage 100 % LED, le recyclage des eaux
grises et des systèmes efficaces de gestion des déchets. Sur le plan architectural, la forme
cylindrique de la tour, inspirée d’une coquille de perle, s’ouvre vers le Golfe arabique,
symbolisant le patrimoine culturel du Koweït. Des ailettes en béton le long de la façade
assurent à la fois un renforcement structurel et une protection solaire. Du verre sérigraphié
est intégré à la conception pour réduire la chaleur et l’éblouissement sans compromettre
l’apport de lumière naturelle.

Quel chiffre clé souhaiteriez-vous mettre en avant dans cette interview ?

Le Koweït a été un pionnier dans la région en élaborant son code national de conservation
de l’énergie dès le début des années 1980. Ce code impose l’utilisation d’une isolation
thermique dans les murs et les toits, et fixe des limites de charge pour les systèmes de
climatisation et d’éclairage. Aujourd’hui, il constitue une pierre angulaire du cadre d’efficacité
énergétique du Koweït, et une version révisée est actuellement en préparation.

On estime que ce code a permis d’éviter environ 8 GW de demande en électricité (soit
environ 40 % de la capacité installée actuelle) et plus de 30 millions de tonnes de CO₂
émises au cours des quatre dernières décennies.

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