« Il faut imaginer une architecture qui sait s’adapter. »

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le Pavillon français à la XIXᵉ Biennale d’architecture de Venise. © Schnepp Renou

Qualité de vie
Point de vue
Durée de lecture : 10 min 10 min
28/05/2025

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Éric Daniel-Lacombe est architecte, chercheur et co-concepteur du Pavillon français temporaire, érigé pour la Biennale d'architecture de Venise de 2025, aux côtés de Martin Duplantier, et des commissaires Dominique Jakob et Brendan MacFarlane. Auteur de l'ouvrage "Vers une architecture pour la santé du vivant", il est engagé pour un urbanisme résilient face aux risques climatiques.
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À l’occasion de la XIXᵉ Biennale d’architecture de Venise, le Pavillon Français ne se contente pas de s’exposer : il expérimente. Se greffant sur la rénovation actuelle du bâtiment, la structure temporaire proposée est ouverte et dialogue avec les jardins et le canal. Une architecture d’anticipation, conçue pour cohabiter avec les instabilités climatiques plutôt que les fuir. Rencontre avec l’architecte Éric Daniel-Lacombe, qui a co-conçu ce pavillon et détaille l’approche du « Vivre avec / Living with ».

Idées forces:
L’architecture doit apprendre à cohabiter avec le climat : reconstruire à l’identique ou viser l’étanchéité mène à l’échec face aux aléas répétés.
Accepter la vulnérabilité des lieux renforce la résilience : le Pavillon français intègre le risque (l’eau) et la contrainte (travaux) dans sa conception
Un matériau durable, c’est un matériau adapté au contexte : ici, un échafaudage métallique réemployé vaut mieux qu’un matériau “vert” mal intégré.
L’eau est un allié stratégique pour les villes durables : bien canalisée, elle atténue à la fois les inondations et les effets de chaleur.
Construire pour l’urgence et pour durer : les habitats temporaires doivent être pensés comme des solutions pérennes, évolutives et réparables.

Le Pavillon français que vous avez co-conçu pour la XIXe Biennale d’architecture de Venise porte le thème du « Vivre avec / Living with ». Qu’implique cette approche en matière d’architecture ?

La notion de « Vivre avec » part d’une question toute simple. Comment maintenir l’habitabilité de la Terre malgré les instabilités climatiques actuelles ? Deux tendances nous desservent aujourd’hui :

  • la recherche de l’étanchéité, en voulant être de plus en plus imperméable face aux instabilités naturelles de plus en plus régulières et puissantes, 
  • et la tentation de reconstruire à l’identique, qui ignore complètement l’urgence d’adapter nos habitats.

Les inondations du Nord Pas-de-Calais (France) entre 2023 et 2024, ont coûté 640 millions d’euros. Les instabilités naturelles détruisent et nous reconstruisons, coûte que coûte, en sachant qu’il faudra reconstruire, encore. Il ne suffit plus de faire une architecture qui atténue – les émissions, les déchets, les risques -, il faut penser une architecture qui s’adapte. La notion du « vivre avec » est durable par nature, c’est apprendre à durer et cohabiter parfaitement avec notre milieu.

Il ne suffit plus de faire une architecture qui atténue - les émissions, les déchets, les risques -, il faut penser une architecture qui s'adapte.

Le Pavillon met également en avant l’idée « d’abri à ciel ouvert ». En quoi ce concept est-il une piste prometteuse pour concevoir des habitats plus résilients et durables ?

Comme le dit la géographe française Magalie Reghezza-Zitt : « On ne naît pas résilient, on le devient ». Le Pavillon français de Venise illustre cette philosophie. Notre installation est poreuse, elle cohabite avec le patrimoine du bâtiment historique (en rénovation), les jardins et le danger, c’est-à-dire le canal qui annonce les crues. Au lieu de fuir l’eau, nous sommes allés la chercher. En imaginant un bâtiment en hauteur, l’eau n’est plus une menace. On profite de la fraîcheur qu’elle apporte aux jardins, parce qu’on sait qu’en montant quelques marches on peut s’en abriter. C’est trouver l’équilibre entre vivre avec le changement et s’en protéger. Plutôt que des abris étanches, il nous faut imaginer une sorte d’abris à ciel ouvert.

Une image contenant bâtiment, arbre, plein air

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Pensé comme un « abri à ciel ouvert », le projet « Vivre avec / Living with »  prend le contre-pied des réflexes d’étanchéité en architecture : il assume la porosité, accepte la proximité de l’eau, et offre une protection en hauteur plutôt qu’un isolement. © Schnepp Renou

Comment appliquer concrètement cette approche à grande échelle ?

Au Pavillon de Venise, nous exposons cinquante projets en lien avec le « Vivre avec / Living with ». Autant de projets qui montrent que c’est possible. La ville de Romorantin-Lanthenay (France) en est un très bon exemple : dans cette ville, nous avons réimaginé un quartier entier face à une crue qui était annoncée comme inéluctable. Nous avons réservé 80 % du terrain à la rivière et orienté les bâtiments, surélevés, dans le sens du courant. On a joué à un équilibre entre creux et bosses pour à la fois calmer le courant, contenir l’eau et mettre les gens à l’abri. En 2016, résultat probant : aucun dégât malgré une eau montée à 1,50 mètres, alors que le département subissait 900 millions d’euros de dommages.

En arrêtant de craindre l’eau, en la canalisant et en l’utilisant comme une ressource, on répond aussi à un deuxième risque : celui de la chaleur. Le couple « inondations-canicule » est l’un des grands enjeux de la Méditerranée. Ces investissements initiaux génèrent d’importantes économies à long terme. Mon objectif n’est pas que ça se passe mieux à la fin de l’année, mais à la fin du siècle.

Lire aussi : Aléas climatiques : comment rendre les villes plus résilientes ?

Une image contenant plein air, herbe, arbre, plante

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Sur l’ancien site industriel des usines Matra à Romorantin-Lanthenay (France), Éric Daniel-Lacombe a transformé une friche en zone résiliente. Tandis que le centre-ville était submergé, le quartier a absorbé la montée des eaux sans dommage grâce entre autres à ses jardins inondables et ses bâtiments surélevés. © edl-architecte

Quand une ville est détruite, il y a aussi un besoin immédiat, celui de reloger. L’architecture du « Vivre avec », peut-elle être appliquée à l’urgence de reconstruire ou reste-t-elle une solution de prévention ?

En effet, le « Vivre avec » doit pouvoir courir le marathon de la fin du siècle et le sprint de l’urgence du terrain. Le problème aujourd’hui, c’est que les abris temporaires ne sont pas adaptés et les gens y restent des années en attendant que l’on reconstruise, à l’identique. Il faut construire des solutions d’entre-deux, agréables à l’usage, faciles à auto-construire, avec des matériaux revalorisables et locaux, parce qu’elles vont durer.

Il faut avoir le courage de prendre le temps de construire une vraie transformation : un habitat qui mettra vraiment à l’abri les locaux, et leurs enfants après eux. C’est aussi une question d’habitude. Monter simplement ne serait-ce que le frigo et la chaudière à l’étage, ça change la donne pour vivre au sec et avec de l’eau et de la nourriture, le temps de la crue et de la décrue. À Venise, comme dans d’autres endroits, on sait déjà fabriquer un urbanisme qui vit avec l’eau, depuis des siècles. Il faut en prendre exemple.

Il faut avoir le courage de prendre le temps de construire une vraie transformation : un habitat qui mettra vraiment à l’abri les locaux, et leurs enfants après eux.

Le Pavillon français se distingue par sa recyclabilité et l’utilisation de matériaux locaux. Comment avez-vous relevé le défi de concevoir un bâtiment à la fois temporaire et durable, en harmonie avec le territoire vénitien ?

Le Pavillon historique étant en travaux, nous avons simplement tiré parti de la situation et créé une excroissance en prolongeant son échafaudage. Il est local, il se réutilise, il est déjà là, il est durable par essence. On pourrait dire que le carbone, c’est moins durable que le bois, que la paille, que la terre crue. Dans ce cas ce matériau était pourtant l’une des options les plus durables. Comme quoi, il n’y a pas de matériau magique. Le matériau parfait est celui qui communique avec son environnement immédiat.

Mais le matériau principal du Pavillon n’est pas celui que l’on croit : c’est l’eau, qui dessine l’architecture du « Vivre avec ». Comment va-t-on lui permettre de circuler dans le respect des environnements et des hommes ? Comment en garder un peu, pour permettre de rafraîchir les sols et éviter le gonflement des argiles, quand elle se retire ? Comment rediriger sa fraîcheur, comme le faisaient les Romains avec des citernes souterraines sous les maisons, pour rafraîchir les habitations ? L’eau est une formidable ressource. Sa bonne circulation est indispensable à notre survie. En se promenant dans le Pavillon c’est ce qu’on découvre : que l’on peut cohabiter avec le risque tout en pouvant profiter de ses richesses. Nos habitudes de confort aujourd’hui seront notre inconfort de demain. Il faut adopter la culture de la prudence, face à celle du risque.

Nos habitudes de confort aujourd'hui seront notre inconfort de demain. Il faut adopter la culture de la prudence, face à celle du risque.

Dans votre ouvrage « Vers une architecture pour la santé du vivant », vous défendez une « cohabitation des intelligences humaine, naturelle et artificielle ». Comment cette approche peut-elle transformer la construction pour tendre vers plus de durabilité ?

La paysagiste Diana Balmori, s’est associée à Rem Koolhaas, architecte néerlandais, pour imaginer un autre futur pour les rives ouest de Manhattan sur l’île d’Hoboken (New-York), après le désastre de l’ouragan Sandy en 2012. Avec « Resist, Delay, Store, Discharge » ils souhaitaient réhabiliter une rivière naturelle pour accueillir temporairement les hauts, créer des citernes, un jardin public, une entrée pour calmer l’eau et un endroit pour la faire ressortir, comme un système de pompe. Le projet de transformation ne s’est pas fait : on a voulu refaire à l’identique et dans l’étanchéité. Mais il illustre à merveille la cohabitation des intelligences humaines, naturelles et de l’ingénierie. Un « Vivre avec » harmonieux qui permet à l’architecture et aux hommes de s’adapter à un environnement agité, pour vivre plus sereinement l’avenir. Une vision durable, par nature.

Écouter aussi le podcast :
R… comme Résilience

Vous avez participé cette année au Global Award For Sustainable ArchitectureTM. Quel est le rôle joué par cet événement selon vous ?

Je ne crois plus, comme au XXe siècle, qu’on est en train de bâtir un monde nouveau avec des matériaux nouveaux. Je pense qu’on est en train de bâtir un monde réparable avec des matériaux qui seront donc réparables. C’est comme cela que j’envisage le rôle du Global Award : qu’il se fasse le véhicule de l’idée d’un monde qui casse moins. Contre la performance et pour la robustesse.

Lire aussi :

Les 5 Lauréats 2025 du Global Award for Sustainable Architecture™

Aller plus loin :

L’exposition « Vivre Avec/ Living with » accueille les visiteurs du 24 mai au 23 novembre 2025 au Pavillon Français, situé dans les Giardinis de la Biennale, 30100 Venise, Italie.

Institut Français

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