Innovations numériques : l’intelligence au service du défi climatique

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Singapour, classée parmi les villes les plus intelligentes au monde, a créé son jumeau numérique, “Virtual Singapore”.

Rénovation
Décryptage
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09/11/2023

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IA, BIM, jumeau numérique, IoT… Les technologies numériques ont pénétré le secteur de la construction pour impulser de nouvelles façons de concevoir les bâtiments et maîtriser leur impact environnemental. Comment ? En les rendant plus intelligents !

Savoir comment orienter un bâtiment ou tester l’emplacement de ses fenêtres pour en optimiser l’efficacité énergétique, prédire l’impact qu’aura telle ou telle ressource, réduire les délais d’un chantier, s’assurer que les matériaux proviennent d’une source durable… Autant de possibilités ouvertes désormais aux acteurs de la construction grâce à des innovations numériques qui les dotent de véritables antennes, pour mieux se connecter à la réalité actuelle et future de leurs projets. Mieux, c’est-à-dire en facilitant leurs choix vers plus de durabilité.

L’IA pour des bâtiments aux consommations optimisées

Déjà mis en œuvre dans le secteur de la construction, par exemple pour simuler des projets immobiliers ou surveiller des chantiers en temps réel, les systèmes d’intelligence artificielle (IA) s’intègrent désormais aux bâtiments pour favoriser la réduction de leurs émissions carbone. Grâce à des capteurs et des compteurs intelligents, l’IA s’appuie sur des données précises et détaillées quant à la manière dont le bâtiment est utilisé pour proposer des optimisations.

35 à 40%

d’économies d’énergie grâce au pilotage énergétique à distance des bâtiments

De leur côté, des entreprises de la GreenTech comme Eficia ou Agrid conçoivent des solutions de smart building pour le pilotage énergétique à distance des bâtiments 24h/24 et 7j/7. À partir de cette surveillance constante, le chauffage, la climatisation et l’éclairage sont ajustés, ce qui conduit à des économies d’énergie pouvant atteindre 35 à 40 %. De plus, le recours à l’IA contribue à l’anticipation des besoins énergétiques en fonction des modèles de consommation passés, des conditions météorologiques et d’autres facteurs, afin d’optimiser la production et la distribution d’énergie. Un tel dispositif a été mis en place en 2020 dans deux lycées de la ville de Bergneustadt près de Cologne (Allemagne), par Vinci Facilities Solutions et la société Dabbel, spécialisée dans la gestion de bâtiments autonomes. De 20 à 30 % d’économies sur les coûts énergétiques ont été constatés.

Les avions de Turkish Airlines accostent aux portes d'embarquement, nouvel aéroport d'Istanbul, Istanbul, Turquie
Inauguré en 2018, l’Aéroport d’Istanbul (Turquie) a bénéficié des technologies numériques, dans sa conception puis sa construction, pour limiter son impact environnemental.

Le BIM pour modéliser l’efficacité énergétique

Le Building Information Modeling (BIM) – ou modélisation des informations du bâtiment – est une méthodologie de gestion de projet de construction reposant sur une maquette numérique 3D avec des données structurées. Il favorise la collaboration et optimise l’analyse, la simulation et le contrôle de divers aspects tels que la conception, la construction, la logistique et l’empreinte environnementale du projet. Largement adopté aux États-Unis, le BIM est obligatoire dans certains pays comme le Chili, la Corée du Sud ou le Danemark, et en croissance en Europe, notamment en France. Il peut évoluer vers le RIM (modélisation des ressources d’information), qui assure la traçabilité des matériaux, le calcul de leur impact carbone, la planification de la déconstruction et du recyclage.

48 %

des acteurs de l’industrie considèrent le BIM comme une priorité stratégique. (Baromètre 2021 sur l’usage du numérique et du BIM par les professionnels de la construction.)

Le BIM a été employé ces dernières années dans la construction d’infrastructures majeures telles que l’Aéroport d’Istanbul (Turquie), l’un des plus grands au monde. Il est aussi l’un des plus durables, grâce notamment à un dispositif de collecte des eaux de pluie, une usine de traitement des eaux grises et un système d’énergie solaire qui compense la consommation d’énergie de l’aéroport de 10 %. Grâce au BIM, les effets environnementaux de la construction de l’aéroport ont été limités et un plan de gestion environnementale a été mis en place pour favoriser la biodiversité, notamment via un radar pour les oiseaux et un programme de gestion de la faune.

Le prix de la conception durable de l’Autodesk AEC Excellence Award 2017 a été décerné au projet Whizdom 101, à Bangkok (Thaïlande), pour son recours à la technologie BIM dans le but de réduire la consommation d’énergie. Le logiciel Autodesk a analysé l’écoulement des eaux pluviales, la ventilation naturelle et la qualité de l’air. Grâce au modèle BIM, la conception du projet a pu être ajustée pour atteindre les objectifs de durabilité en changeant l’orientation, la masse et l’enveloppe du bâtiment.

Enfin, le Stade national de Bakou (Azerbaïdjan) a quant à lui été entièrement conçu grâce au BIM, pour être le plus économe possible en énergie. Depuis sa toiture composée d’éthylène-tétrafluoroéthylène (ETFE) jusqu’à la méthode de récupération des eaux de pluie, le BIM a rythmé chaque étape du processus.

Le “Whizdom 101”, à Bangkok (Thaïlande), est un modèle de smart city, avec un développement numérique entièrement intégré à la conception et l’usage des bâtiments comme du quartier.
Le “Whizdom 101”, à Bangkok (Thaïlande), est un modèle de smart city, avec un développement numérique entièrement intégré à la conception et l’usage des bâtiments comme du quartier.

Le jumeau numérique pour une optimisation des performances en temps réel

Les jumeaux numériques sont des modèles virtuels d’objets conçus pour refléter fidèlement un objet physique, tels que des machines ou des bâtiments, créés à partir de données précises et continuellement actualisés. Alimentés grâce aux capteurs IoT (Internet des objets) installés sur les équipements, ils collectent en direct les informations provenant de leur exploitation, Intégrés dans le processus BIM, ils offrent tout au long de son cycle de vie une représentation virtuelle, véritable version « vivante » parallèle du projet en temps réel.

Les acteurs de la construction durable y ont recours, entre autres, pour optimiser les ressources, surveiller l’efficacité énergétique, prédire les besoins de maintenance, et réduire les émissions de GES. Pour le projet 2 Aldermanbury Square, par exemple, situé au cœur de la City de Londres (Royaume-Uni), un jumeau numérique compare et sélectionne le principe de centrale énergétique le plus approprié et prédit avec précision la consommation d’énergie effective des bâtiments.

La cité-État de Singapour, classée en tête de l’indice des villes intelligentes de l’IMD* en 2020 et 2021, a créé son jumeau numérique, Virtual Singapore, avec la collaboration de l’entreprise française de logiciels Dassault Systèmes, pour obtenir en temps réel les informations de température, d’humidité, d’ensoleillement, de circulation ou de niveaux sonores utiles à l’optimisation des fonctionnalités de la ville.

La méthode du jumeau numérique est d’autant plus utile que l’exiguïté du territoire singapourien ne laisse que très peu de place à l’expérimentation en situation réelle.

Ng Siau Yong, directeur de la division géospatiale de l’Autorité foncière de Singapour
Visualisation conceptuelle du modèle BIM supportant la charpente et les systèmes CVC du bâtiment
La conception numérique, préalable à la construction durable, permet de faire exister virtuellement un bâtiment avant qu’il existe vraiment.

Les capteurs IoT pour améliorer la gestion des ressources

L’Internet des objets (IoT, pour Internet of Things) désigne un réseau d’infrastructures physiques interconnectées, qui intègre des dispositifs comme les capteurs, les radios et les routeurs pour collecter et échanger des données sans fil. En matière de gestion des bâtiments et des installations, l’IoT offre des avantages environnementaux significatifs en optimisant les ressources énergétiques : par exemple, les capteurs surveillent en temps réel les températures et l’occupation des pièces, déclenchant automatiquement le chauffage ou la climatisation selon des seuils prédéfinis. Dans l’immeuble de bureaux 545 Wyn du quartier de Wynwood à Miami, en Floride (États-Unis), 120 capteurs de température ambiante ont été installés. Ils mesurent la température, l’humidité et le CO2 pour améliorer la qualité de l’air intérieur, le confort des occupants et la consommation du bâtiment. Cette capacité à fournir instantanément des données précises contribue à réduire les gaspillages et à améliorer la gestion des ressources. Grâce à ses 14 000 capteurs générant jusqu’à 100 téraoctets de données par jour, le bâtiment PTK1 d’Intel, situé en Israël, serait 40 % plus économe en énergie que les bureaux traditionnels et il consommerait jusqu’à 75 % moins d’eau au moyen de procédés technologiques efficaces.

En plus de rendre les bâtiments plus respectueux de l’environnement, la technologie IoT devient elle-même plus écologique grâce à des innovations telles que l’ajustement de la puissance de transmission, des techniques de routage économes en énergie et des modes de veille à faible consommation d’énergie.

La blockchain pour une meilleure traçabilité

Depuis son apparition en 2009, la blockchain a profondément transformé la manière de stocker et d’échanger des données numériques. Elle offre une sécurité inégalée et élimine le besoin de tiers de confiance. Même si certains types de blockchains – en particulier ceux fondés sur un algorithme de consensus Proof of Work – sont critiqués pour leur consommation d’énergie élevée, de nouvelles technologies, comme celles basées sur le modèle Proof of Stake, en dépensent beaucoup moins et offre une alternative plus respectueuse de l’environnement.

Le secteur de la construction peut intégrer la blockchain pour de nombreux usages, notamment la mise en œuvre de contrats intelligents attestant du suivi transparent des étapes de la construction, en vue de garantir la traçabilité des matériaux ou une meilleure gestion des déchets. Ainsi, la plateforme Cyclop, créée par Trace et IBM, propose d’adopter la blockchain pour suivre le cycle de vie des déchets de bout en bout, en associant l’ensemble des documents de traçabilité émis par les différents acteurs.

Cyclop doit être perçu comme un bien commun de la filière en matière de traçabilité.

Didier Lusseyran, directeur général de Trace Digital Processing.

Certains acteurs tels qu’IBM, associent blockchain et Internet des objets pour surveiller en temps réel l’état des équipements dans les bâtiments et identifier les problèmes avant qu’ils ne deviennent critiques, ce qui réduit les coûts et optimise l’efficacité énergétique. Autre exemple, l’application Bau connecte les technologies blockchain et IoT au Metaverse, pour suivre en continu les véhicules, les équipements et les matériaux de construction exploités sur un chantier.

Quelques bémols cependant : à ce jour, au-delà de sa consommation d’énergie élevée, le coût et la complexité d’opérer une blockchain demeurent excessifs pour nombre d’acteurs et, surtout, cette technologie requiert un fonctionnement en écosystème que le marché de la construction n’a pas encore structurellement adopté.

Dans le cadre du processus d'enlèvement des déchets de chantier, un conteneur métallique est utilisé pour le recyclage des déchets et une benne à ordures est utilisée pour l'élimination des déchets.
La blockchain permet de garantir la traçabilité de toutes les étapes de la construction durable, notamment celle des matériaux et des déchets.

Les Smart Grids pour une meilleure gestion de l’énergie des villes

Les smart grids, ou réseaux électriques intelligents, intègrent des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour optimiser la distribution ou la production d’énergie et plus généralement pour la gestion des flux (électricité, gaz, chaleur, eau, assainissement, déchets, mobilités, etc.) en milieu urbain. Ajustant la consommation en fonction de la production, ils facilitent l’intégration des énergies renouvelables intermittentes. Grâce aux smart grids, les immeubles et les infrastructures de la ville « intelligente » sont interconnectés en temps réel, ce qui favorise la mutualisation des équipements et l’optimisation des flux au niveau d’un quartier ou d’une ville, réduisant ainsi leur empreinte carbone. Avec eux, on passe du concept de ville intelligente à celui de bâtiment intelligent.

* L’International Institute for Management Development est une école de management, présente à Lausanne (Suisse) et à Singapour.

Crédits photos: ©Tang Yan Song/Shutterstock, ©Hasan Zaidi / Alamy, ©GEOLN.COM, ©black_mts/AdobeStock, ©ungvar/AdobeStock

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