« La durabilité est aussi et surtout un levier de performance économique et d’attractivité pour les voyageurs. »

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Le Fairmont Royal York à Toronto (Canada), hôtel du Groupe Accor, a entrepris un projet de rénovation énergétique ambitieux qui a permis de réduire de 80 % les émissions de CO₂ de l’établissement.

Décarbonation
Point de vue
Durée de lecture : 7 min 7 min
13/03/2025

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Ancienne secrétaire d'État à la Transition écologique et solidaire en France, Brune Poirson est une figure engagée du développement durable, ayant occupé des postes clés tant dans le secteur public que privé. Elle partage ici sa vision et ses actions au sein du groupe Accor, qu’elle a rejoint en 2021 en tant que membre du Comité Exécutif en charge des enjeux de durabilité, où elle définit et pilote la stratégie développement durable du groupe.
Brune Poirson, Directrice du Développement Durable du groupe Accor*, membre du conseil d’administration de Getlink, Présidente de Climate Dividends.
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Accor est un acteur majeur de l’hôtellerie dans le monde. Quels sont les piliers de votre stratégie en matière de développement durable ?

Notre stratégie repose sur trois axes fondamentaux qui structurent notre approche et nos engagements. Tout d’abord séjourner responsablement. La gestion d’un hôtel repose sur une consommation significative d’énergie et de ressources. Nous travaillons donc activement à la réduction de notre empreinte écologique en diminuant la consommation d’eau et d’électricité, en améliorant l’efficacité énergétique et en favorisant l’éco labellisation de nos établissements. Nous collaborons avec des labels exigeants tels que Green Globe ou Green Key pour garantir la qualité environnementale de nos hôtels.

Nous devons ensuite offrir à nos hôtes la possibilité de s’alimenter durablement. L’impact de l’alimentation est souvent sous-estimé dans l’industrie hôtelière, or il représente près de 20% des émissions de CO₂ du Groupe Accor. Nous avons mis en place une politique de réduction du gaspillage alimentaire avec des objectifs ambitieux : nous avons déjà réduit d’au moins 10 % notre gaspillage en un an. Nous travaillons aussi à la refonte de nos menus, en augmentant la part de plats végétaux et en favorisant des produits issus de circuits courts et d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement.

Enfin nous voulons encourager un tourisme plus respectueux des cultures et des territoires. Aujourd’hui, 95 % des touristes se concentrent sur seulement 5 % des destinations dans le monde, ce qui peut créer une pression excessive sur certains lieux. Nous cherchons à promouvoir un tourisme plus équilibré et à développer des partenariats pour encourager la mobilité durable afin d’explorer le monde autrement.

Le groupe Accor compte plus de 5 600 hôtels dans le monde. Comment parvenez-vous à ce que vos établissements soient plus durables ?

Il est important de rappeler que nous sommes un groupe de services et non un propriétaire d’hôtels. Nos établissements sont soit franchisés, soit gérés sous contrat, ce qui signifie que de nombreuses décisions, notamment en matière d’investissements structurels, dépendent des propriétaires.

Toutefois, nous avons un rôle clé à jouer en tant que leader du secteur et nous avons développé plusieurs leviers pour impulser une transformation durable. L’un de nos outils majeurs est la « Score card ESG », un dispositif d’évaluation qui permet de mesurer la performance environnementale, sociale et de gouvernance des hôtels. Cet outil nous aide à établir un diagnostic précis et à proposer aux propriétaires des pistes d’amélioration concrètes.

Nous nous positionnons aussi comme un facilitateur : nous mettons à disposition des guides pratiques et des solutions adaptées à chaque hôtel. Nous accompagnons également les propriétaires dans la recherche de financements et de subventions locales pour les rénovations et les améliorations énergétiques. Enfin, nous menons un travail de sensibilisation pour démontrer que la durabilité n’est pas seulement une contrainte, mais aussi et surtout un levier de performance économique et d’attractivité pour les voyageurs.

La durabilité est aujourd’hui un levier d’attractivité pour les voyageurs, et la rénovation d’un établissement l’a toujours été. Comment réconciliez-vous les deux ?

La rénovation représente un défi de taille, notamment en raison des coûts qu’elle implique et de la diversité des établissements que nous gérons à travers le monde. Nous devons alors adapter nos stratégies aux réalités locales tout en respectant des standards élevés en matière de durabilité.

Nous avons donc mis en place une approche structurée, qui repose sur plusieurs axes. Nous devons d’abord repenser la fréquence et la nécessité des rénovations. Traditionnellement, dans l’hôtellerie, il est d’usage de rénover un établissement tous les 5 à 7 ans pour des raisons esthétiques ou de confort. Nous remettons en question cette approche en encourageant un design plus intemporel et durable. L’objectif est de limiter les rénovations superficielles inutiles et d’opter pour des matériaux et des aménagements qui conservent leur attrait et leur fonctionnalité sur le long terme. Nous encourageons aussi la modularité dans l’agencement des chambres et des espaces communs afin de limiter les changements trop fréquents.

Lorsque des rénovations sont nécessaires, nous incitons nos hôtels à intégrer des solutions qui améliorent l’efficacité énergétique et la gestion des ressources. Cela passe par l’isolation thermique et acoustique des bâtiments, notamment en travaillant sur la façade et les vitrages pour réduire les besoins en chauffage et en climatisation ; l’utilisation de matériaux à faible impact environnemental, comme le bois issu de forêts gérées durablement ou des peintures sans solvants ; l’installation de systèmes intelligents pour la gestion de l’énergie, avec par exemple des capteurs qui coupent automatiquement la climatisation ou le chauffage lorsque les fenêtres sont ouvertes, ou des éclairages LED avec détecteurs de mouvement pour éviter le gaspillage ; enfin le recours aux énergies renouvelables, en intégrant des panneaux solaires, des pompes à chaleur ou en favorisant l’achat d’énergie verte lorsque cela est possible.


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Nous avons enfin mis en place plusieurs initiatives pour réduire l’empreinte environnementale de nos rénovations. Plutôt que de jeter les anciens meubles, nous avons lancé des plateformes internes où les hôtels peuvent échanger ou réutiliser certains éléments. Nous collaborons également avec des entreprises spécialisées dans le réemploi des matériaux. Côté conception, nous travaillons avec des designers et des fournisseurs qui partagent nos engagements en matière de développement durable. Nos choix se portent ainsi sur des matériaux recyclables, du mobilier conçu pour durer et des textiles respectueux de l’environnement.

Pouvez-vous nous citer un ou deux projets de rénovations exemplaires, et pourquoi le sont-ils ?

Fairmont Royal York à Toronto

La rénovation du Fairmont Royal York à Toronto (Canada) est exemplaire. L’hôtel a entrepris un projet de rénovation énergétique ambitieux qui a permis de réduire de 80 % les émissions de CO₂ de l’établissement, en s’appuyant sur un cofinancement de la Banque d’infrastructure du Canada.

De même, au Novotel Lausanne Bussigny (Suisse), nous avons misé sur l’isolation des façades, la végétalisation du toit et l’intégration d’énergies renouvelables pour en faire un hôtel modèle en termes de durabilité.

Nous sommes convaincus que l’avenir de l’hôtellerie passe par une rénovation plus intelligente, qui ne se limite pas à l’esthétique mais qui prend en compte les enjeux environnementaux et sociaux. Notre objectif est d’accélérer cette transformation et de faire de chaque projet une opportunité d’innover et de progresser vers un modèle plus durable.

* Brune Poirson a quitté ses fonctions de Directrice du Développement Durable du groupe Accor début avril 2025.

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