Vous êtes le directeur de l’architecture et du développement durable Immobilière 3F. Quelle place occupe les enjeux de durabilité chez un bailleur social tel que 3F ?
On se rend bien compte des efforts cruciaux qui attendent le secteur de la construction. Notre cap est la neutralité carbone d’ici à 2040, avec une éradication complète des étiquettes entre E et G(2). Mais il est évident qu’aujourd’hui que la durabilité va de pair avec la qualité de vie et la pérennité d’un bâtiment. Le confort, la conception d’espaces de vie adaptés aux usages et le choix de matériaux plus responsables et nobles, par exemple, permettent de construire des parcs immobiliers pérennes, appréciés par leurs habitants et dans lesquels ils se sentent bien. Dans le cadre de notre démarche 3F Climat, nous nous sommes donc engagés sur des objectifs à la fois de sobriété carbone, de santé, de bien-être et d’habitabilité, et ce avant même l’arrivée de réglementations environnementales comme la RE 2020(3).
En France, un logement social est un logement construit, financé et attribué avec l’aide de l’État pour permettre à des ménages aux revenus modestes ou intermédiaires de se loger à un loyer inférieur aux prix du marché.

Comment parvenez-vous à intégrer la durabilité à vos projets constructifs ?
Il faut prendre le problème sous tous ses angles. Il y a tout d’abord la question des émissions carbone. Nous avons développé un outil pédagogique à destination de nos équipes et de nos partenaires, pour comprendre comment appréhender, mesurer et limiter le carbone tout au long du cycle de vie (ACV) de nos réalisations.
Nous nous attachons aussi à avoir une connaissance fine de notre parc et de ses enjeux face aux aléas climatiques tels que la hausse des températures ou la montée des eaux. Dans ce but, nous avons réalisé une cartographie climatique de l’ensemble de nos logements. Cela nous a permis d’identifier les risques et les actions à mettre en place en priorité. Pour autant, sur le volet adaptation, beaucoup de travail reste à faire.
L’autre point important lorsqu’on évoque la durabilité, c’est qu’il faut prendre le temps de trouver les bonnes pratiques pour chaque territoire. La réponse n’est pas unique, elle est multiple. Elle se trouve dans les ressources et les caractéristiques de chaque localité.
Quels choix techniques favorisez-vous pour construire plus durable ?
Nos choix doivent se concentrer sur des matériaux locaux et issus de filières courtes, lorsque cela est possible. Il nous faut tisser de nouveaux partenariats avec des entreprises innovantes et locales. Pour vous donner un exemple, nous essayons de privilégier le béton de chanvre préfabriqué ou la pierre de taille, qui réduisent l’empreinte carbone et soutiennent l’économie territoriale.
Nous collaborons aussi avec des plateformes d’économie circulaire pour réemployer des matériaux, comme la brique pleine issue de démolitions que nous réutilisons, par exemple, sur des façades. Nous souhaitons favoriser auprès des maitres d’œuvre le développement d’une nouvelle forme de construction vernaculaire en privilégiant une approche qui s’adapte aux ressources locales.

Crédit : Lotoarchilab
Vous vous engagez également dans la construction hors-site (ou préfabriquée). Comment ces chantiers s’intègrent dans votre stratégie de développement ?
Construire hors-site, en utilisant entre autres des éléments préfabriqués, est l’un de nos modes de construction. Mais la faisabilité dépend du territoire et des possibilités de prestataires situés à proximité de nos sites de construction. Il y a une multitude d’acteurs locaux créatifs en France qui fournissent des solutions plus que satisfaisantes.
Construction hors‑site (ou Off site) : modèle constructif centré sur la préfabrication et non sur le chantier. Au lieu de réaliser le bâtiment sur place, les éléments sont conçus et fabriqués en atelier ou en usine, puis transportés et assemblés sur le site. Les avantages sont significatifs : qualité, rapidité, sécurité, empreinte environnementale moindre…
La véritable question est : comment pouvons-nous passer de l’expérimentation à la massification ? Ce qui ne signifie pas de faire tout à l’identique, mais plutôt de reproduire l’expérience d’une manière plus large via des partenariats et de l’incitation. Nous travaillons actuellement au passage à grande échelle de cette approche hors site. Pour cela, il faut construire tout un écosystème, plus vertueux. Ce à quoi nous nous attelons.
Mais le préfabriqué et le neuf ne sont pas nos seules options, nous nous engageons aussi dans la rénovation de notre patrimoine existant. A titre d’exemple, nous avons réhabilité 176 logements à Thiais (France) avec des panneaux préfabriqués. Réalisés en usine, les 570 panneaux ont été directement clipsés à la façade. Résultat, la durée de cette partie du chantier a été divisée par trois. Pour les habitants de la résidence et des rues alentour, le recours à ce procédé innovant a également généré moins de nuisances : peu de poussière et de bruit, absence d’échafaudage, moins d’allées et venues d’ouvriers sur le chantier.
Face aux contraintes économiques inhérentes aux logements sociaux, comment gérez-vous l’aspect coût de la construction durable ?
Construire durable coûte plus cher car nous passons du 100 % béton à des processus radicalement différents. Cela demande une phase de transition. Les entreprises sont dans une courbe d’apprentissage et nous payons le prix de l’innovation et de la nouveauté dans un contexte géopolitique où les coûts augmentent.
Une fois que les processus seront mieux maîtrisés et les filières consolidées, construire durable deviendra plus abordable.
Il ne faut pas oublier non plus que si les coûts sont peut-être plus importants au départ, les choix durables permettent aussi de faire baisser le nombre d’interventions durant tout le cycle de vie du bâtiment (réparations, maintenance, mise à la réglementation). Les façades par exemple, doivent régulièrement être rénovées. En faisant le choix de valoriser de la brique pleine issue de chantiers de déconstruction plutôt que de la briquette, qui risque de se décoller et se désagréger plus vite, nous repoussons la date du premier ravalement de façade à des dizaines d’années.
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Immobilière 3F donne aussi une grande importance à l’esthétique dans ses logements sociaux. Pourquoi ?
L’esthétique est essentielle et est une composante de la durabilité de nos projets. Nous voulons mettre au cœur de nos réflexions l’architecture avec un grand A. Parce que derrière cette notion de beau, il y a une aussi une foule d’autres notions comme le bien-être, la qualité d’usage l’efficience, la pérennité, etc.
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« La beauté doit être le résultat de la durabilité »
Un logement beau et bien conçu incite au respect et renforce le sentiment de fierté des habitants. Nous voulons casser l’image négative souvent associée au logement social en proposant des résidences exemplaires sur le plan architectural. En 2024, nous avons créé un conseil scientifique réunissant architectes, artistes et représentants de la société civile pour réfléchir à ces notions de « bien-vivre ». Ainsi, notre projet de logements sociaux à Bagneux (France), a été primé de l’Équerre d’Argent(4) car il combine esthétique, confort thermique et qualité spatiale, ce qui a été très apprécié par les locataires.
Quels sont, selon vous, les principaux freins à la systématisation de la construction durable pour les logements sociaux en France ?
Les coûts restent un obstacle majeur, et c’est pour cela que nous plaidons pour des incitations financières, comme des subventions ou des baisses de TVA sur les solutions décarbonées, afin de favoriser leur adoption.
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Comment la finance soutient-elle le développement de la construction durable ?
Mais il faut citer aussi le manque de maturité des entreprises et des concepteurs. La priorité doit être de former les acteurs et développer de nouveaux modèles économiques. L’ensemble de l’écosystème de la construction doit être sensibilisé et formé.
Dans ce but, nous avons organisé fin 2024 l’événement 3F Bâtisseur Durable, et y avons convié l’ensemble de nos partenaires (les territoires, les élus, les concepteurs, les entreprises, les fabricants, les promoteurs…) pour parler construction durable. À cette même occasion, nous avons lancé un concours de jeunes talents qui vise à challenger le sujet du confort et de la durabilité. Les lauréats du concours “Conforts 2050”, seront dévoilés en novembre prochain à la Biennale d’Architecture de Venise. L’objectif ? Mettre un peu plus en avant les bonnes pratiques, innover au-delà des normes et… faire de la pédagogie, encore.
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Santé et bien-être : un enjeu de la construction durable
(1) Immobilière 3F est l’une des filiales immobilières de l’organisme paritaire Action Logement qui gère les contributions obligatoires des entreprises pour aider les salariés à se loger et pour financer la construction de logements sociaux en France. Le groupe 3F dispose de 310 000 logements sociaux en France.
(2) Les étiquettes énergétiques, visibles sur les diagnostics de performance énergétique (DPE), évaluent la consommation d’énergie d’un logement (A à G). Les étiquettes E à G concernent les biens les plus énergivores.
(3) La RE 2020 : réglementation française qui impose des seuils stricts sur les émissions de carbone et le confort thermique des bâtiments neufs.(4) L’Équerre d’Argent est un prix d’architecture français décerné chaque année par le Groupe Moniteur, récompensant la meilleure réalisation architecturale livrée en France pour sa qualité, son intégration et son innovation.