Capter le carbone et le valoriser

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Les capteurs de l’incinérateur d’Hinwil dans le canton de Zurich (Suisse) absorbent 900 tonnes de CO2 par an.

Décarbonation
Décryptage
Durée de lecture : 9 min 9 min
07/12/2023

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La réduction des émissions de CO2 n’est pas le seul levier à pouvoir être actionné. Face à l’urgence climatique, toutes les voies sont à explorer. Il est également possible de capter le carbone présent dans l’atmosphère, comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Elle estime que, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, l’Humanité devra capter chaque année 7,6 milliards de tonnes de CO2, soit 50 % des émissions actuelles. Tour d’horizon de quelques innovations qui œuvrent dans ce sens.

En août 2023, le président des États-Unis Joe Biden a ouvert une enveloppe de 1,2 milliard de dollars (1,1 Md€) de subventions pour deux usines de capture directe du carbone dans l’air, l’une en Louisiane, l’autre au Texas, sous la houlette de la firme pétrolière Occidental Petroleum. Directement puisé dans l’atmosphère, le carbone sera transformé et enfoui dans des roches profondes. Un virage stratégique justifié ainsi par Jennifer Granholm, Secrétaire américaine à l’Énergie : « La réduction de nos émissions de carbone ne suffira pas, à elle seule, à inverser les impacts croissants du changement climatique. Nous devons également éliminer le CO2 que nous avons déjà émis dans l’atmosphère. »

Dans ce contexte, on assiste à une véritable effervescence de projets d’innovation, notamment dans le secteur de la construction qui se mobilise, conscient de l’importance des enjeux et de sa responsabilité. Il est donc à l’origine de nombreux projets, caractérisés par une coopération forte entre différents acteurs : recherche, industries, startups et constructeurs. Ceux-ci ont recours à des technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 (CCUS, pour Carbon Capture, Use and Storage) provenant des émanations industrielles, directement à la source avant qu’il ne soit rejeté dans les airs. Ces technologies incluent le captage et le stockage de CO2 (CCS, pour Carbon Capture and Storage) sans valorisation en produits issus du traitement des fumées ou le captage directement dans l’atmosphère (DAC, pour Direct Air Capture), loin des sites industriels. Dans ces derniers cas, le CO2 est alors « enfoui », sous terre ou en mer, comme les déchets dans une décharge. Si elles intéressent les industriels, en permettant de réduire leurs émissions de CO2, ces techniques doivent encore faire la preuve de leur développement à un coût acceptable (voir encadré).

Des nacelles, exploitées par Carbfix, contenant une technologie de stockage souterrain du dioxyde de carbone, à Hellisheidi, en Islande, le mardi 7 septembre 2021. Les startups Climeworks AG et Carbfix travaillent ensemble pour stocker le dioxyde de carbone extrait de l'air dans les profondeurs du sol afin d'inverser les effets néfastes des émissions de CO2 sur la planète. Photographe : Arnaldur Halldorsson/Bloomberg via Getty Images
À Hellisheidi (Islande), Orca, la plus grande usine de captation et de stockage de CO2 au monde, exploitée par Climeworks/AG, éliminera 4000 t/an de CO2 atmosphérique.

Capter et stocker

Les technologies de captage et stockage du carbone (CCS) visent à récupérer le carbone afin de le stocker à long terme dans des puits de gaz, des sols (selon leur nature et leur épaisseur : forestier, agricole, dégradé, artificialisé, etc.) ou des aquifères salins1 où il se minéralise au fil du temps. Si cette solution permet un entreposage du carbone durant des millions d’années, sa faisabilité nécessite cependant de réunir certaines conditions. À commencer par la disponibilité d’installations de captage et d’infrastructures de transport (pipelines) de très grande envergure, ainsi que celle de technologies moins énergivores2 et à des coûts réduits à mesure que les procédés se généralisent, sachant que plus la zone de stockage est proche du lieu de captage, plus on évite les coûts de transport. L’estimation du montant total de la captation et du stockage de CO2 oscille entre 70 et 250 € la tonne, selon la géologie des sites utilisés. En déployant cette méthode dans les zones où le sol comporte une forte proportion de minéraux métalliques, on pourrait faire passer à 120 € le coût à la tonne de CO2. Sur des secteurs composés de minéraux non métalliques, son développement plus important permettrait de multiplier par 5 le nombre d’installations et d’atteindre 90 € par tonne de CO2.

Pour sa part, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estiment que le captage et le stockage du CO2 constituent des stratégies pertinentes pour limiter le réchauffement climatique, même si l’objectif fixé (capter 7,6 GtCO2/an d’ici à 2050) semble pour le moment difficile à atteindre. En France, le Haut Conseil pour le climat (HCC), dans un avis publié le 30 novembre 2023 sur la stratégie nationale de capture, stockage et utilisation du carbone (CCUS), estime que le rôle des technologies actuelles sera nécessairement « restreint » dans la mesure où l’objectif de 4 à 8 MtCO2/an ne semble pas réaliste. Par contre, la réduction des émissions industrielles via les CCS de 2 à 4 MtCO2/an à l’horizon 2030 est envisageable. De même que d’atteindre 15 à 20 MtCO2/an d’ici à 2050 est « en cohérence avec les connaissances disponibles ». À cet égard, le HCC insiste sur la nécessité d’investir en priorité sur la R&D « afin de lever les incertitudes sur les capacités de stockage géologique en France, le potentiel technologique, l’impact sur les ressources en eau, la disponibilité de la biomasse pour le BECCS (bioénergie avec CCS) et le dimensionnement du système électrique pour tenir compte des besoins en énergie CCS ».

Le bâtiment Haute Qualité environnementale (HQE) d’Amazon en Virginie (États-Unis) est construit en partie avec un béton nouvelle génération, à base de dioxyde de carbone résiduel (CarbonCure).

Valoriser le CO2

Les technologies de captage et d’utilisation du carbone (CCU) visent à extraire le CO2 pour le transformer en une gamme de produits. Sur son site de Montalieu-Vercieu (Isère), la cimenterie Vicat a ainsi mis au point, en partenariat avec Hynamics (filiale d’EDF), une solution de CCU en vue de capter 40 % du CO2 émis par la production de sa cimenterie, puis de le combiner à de l’hydrogène produit de manière décarbonée pour aboutir à du méthanol décarboné.
À l’heure actuelle, les acteurs les plus impliqués dans les solutions de captage, stockage et valorisation du CO2 (CCUS) sont les cimentiers, dont les émissions de CO2 proviennent à 70 % des roches utilisées. Une proportion qui devrait être ramenée à 40 % d’ici 2050 grâce au captage sur site du carbone.

Lire aussi : Impact du carbone incorporé dans le cycle de vie d’un bâtiment

Si capter le carbone sans le valoriser a un coût encore très élevé et comporte quelques risques liés notamment aux aléas sismiques ou à la dilution du CO2 dans l’eau de mer, le valoriser en le fixant dans le béton pour en augmenter la résistance présente a contrario un avantage décisif. Il réduit très fortement – en les captant à la source – les émissions des installations industrielles dans des secteurs comme la sidérurgie, la cimenterie, la production d’énergie et la pétrochimie – principaux responsables des rejets de CO2.
La société canadienne CarbonCure, par exemple, s’est associée à 150 usines de production de béton dans le monde – dont le français Lafarge, le suédois Thomas Concrete ou l’américain Ozinga – pour capter le carbone et le réinjecter dans un béton de nouvelle génération, plus résistant et déjà utilisé dans la construction d’entrepôts, d’établissements de santé ou de bureaux.

Capter le carbone de l’atmosphère pour le réinjecter dans du béton de démolition permet à l’entreprise Neustark de stocker du CO2 de manière systématique.

Dans le même esprit, CarbiCrete, une autre startup canadienne, a mis au point des parpaings « stockeurs » de carbone. Les scories des aciéries locales sont réutilisées comme liant à la place du ciment par des fabricants de béton. En Suisse, Neustark a élaboré une technique de minéralisation du carbone dans des granulats de béton recyclé. L’entreprise expérimente dans ses laboratoires de Zurich un procédé qui permet de multiplier l’absorption de CO2 par mètre cube de béton. Chaque mètre cube ayant un coût carbone de 200 kg de CO2, son objectif est d’arriver à capter un volume équivalent (200 kg) dans un mètre cube de béton. Une solution susceptible d’être commercialisée dès 2025.

Du carbone sous toutes les formes

Le béton n’est pas la seule et unique solution de recyclage du carbone. Il peut être converti en carbonate de calcium pour la fabrication de revêtements papier, d’aliments, de dentifrice, etc. L’approche qui consiste à voir dans le carbone une ressource à valoriser semble donc, à ce jour, la plus encourageante, et elle n’est pas totalement nouvelle… « Dans les faits, l’industrie incorpore déjà du CO2 dans la fabrication de l’urée, un engrais très utilisé qui peut également servir de précurseur pour de nombreux plastiques, de l’acide salicylique, qui entre dans la composition de l’aspirine et de certains produits anti-acné, ou encore des polycarbonates, ces polymères qu’on retrouve dans les CD, DVD ou les verres de lunettes. Il s’agit d’aller plus loin dans ces usages et d’en inventer de nouveaux », explique Marc Robert, chercheur au Laboratoire d’électrochimie moléculaire3.
Parmi ces innovations, les microalgues représentent une alternative prometteuse pour non seulement capter du CO2 par photosynthèse (1m3 de microalgues, à la manière du phytoplancton dans la mer, posséderait la même capacité de photosynthèse que 80 à 100 arbres), mais aussi produire de l’énergie (biomasse), de l’oxygène, du sucre, des protéines et des oligoéléments, donc du complément alimentaire. Les résidus de microalgues pourraient avoir une autre application en constituant du bio-bitume pour les Travaux Publics.

KHGMHJ Kloetze, Allemagne. 2 novembre 2017. Christine Reinhold, assistante de laboratoire chez Roquette, insère des cultures de démarrage de micro-algues dans les réacteurs biologiques à Kloetze, en Allemagne, le 2 novembre 2017. Les micro-algues sont cultivées dans le système de tubes de verre sur une surface de 1,2 hectare pour les comestibles, le fourrage et l'industrie cosmétique. 500 kilomètres de tubes d'une capacité de 600 000 litres ont été installés pour les bio-réacteurs. Crédit : Klaus-Dietmar Gabbert/dpa-Zentralbild/ZB/dpa/Alamy Live News
À Kloetze (Allemagne), les bio réacteurs à microalgues, tout en captant le CO2 contenu dans l’air et dans l’eau, peuvent produire de l’énergie (biomasse), de l’oxygène et des compléments alimentaires.

Le captage et la valorisation du CO2 présentent des perspectives prometteuses. Pour autant, les coûts d’investissement et de fonctionnement restent encore très élevés et, sur le plan environnemental, la plupart des technologies de captage mobilisées demeurent énergivores et gourmandes en matériaux. Un passage à une plus grande échelle nécessitera de lever ces freins.

1. Formation géologique constituée de roches sédimentaires poreuses renfermant une eau salée.
2. La conversion de 25 % de CO2 consomme à l’heure actuelle autant d’hydrogène que l’alimentation d’un four de cimenterie.
3. https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-co2-une-ressource-a-exploiter#footnote1_yfdnhie

Comment capte-t-on le CO2 dans l’atmosphère ?Il existe deux formes essentielles de captage du CO2, l’une (CCS, pour Carbon Capture and Storage) provenant des émanations industrielles (70 % des CCUS) et l’autre où le dioxyde de carbone est prélevé dans l’atmosphère, loin des sites industriels (DAC, pour Direct Air Capture).
Le captage et la séparation industrielle du CO2 ne sont pas des technologies nouvelles. Elles existent depuis plus de cinquante ans dans les activités pétrolières et, plus récemment, dans la cimenterie et la sidérurgie. La fumée de silice, par exemple, produite lors de fabrication de silicium et de ferrosilicium, était rejetée jusque dans les années 1980 dans l’atmosphère. Depuis, elle est valorisée pour entrer dans la composition du béton.

  • Le captage en précombustion consiste à décarboner le combustible avant sa combustion. Le traitement aboutit à produire de l’eau, du carbone et de l’hydrogène, mais il est considéré comme trop coûteux.
  • Avec le captage des fumées en post-combustion, celles-ci sont « lavées » pour extraire le CO2 des émanations provenant du comburant (gaz naturel, pétrole, charbon, etc.). Les innovations dans ce domaine visent à minimiser la consommation énergétique et à réduire la taille des installations et les investissements.
  • Le captage en oxy-combustion utilise de l’oxygène pur dans la combustion, ce qui permet d’obtenir des fumées plus concentrées en CO2 (de l’ordre de 90 %). Celui-ci est alors plus facile à séparer de la vapeur d’eau avec laquelle il est mélangé.

Le DAC (Direct Air Capture) capte directement le CO2 dans l’atmosphère, mais loin des émanations industrielles, il est donc beaucoup plus dilué, donc plus cher à extraire : 15 installations de captage direct de l’air sont en fonction dans le monde, avec une production de plus de 9 000 tCO2/an.

Crédits photos: © Orjan Ellingvag / Alamy, © Arnaldur Halldorsson/Bloomberg / GettyImages, © Amazon/NBBJ © Neustark, © imageBROKER/Guenter Fischer / Alamy

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